Docteur Matthieu Julian > Consultations > Adultes > L'alcoolisme : définitions, caractéristiques cliniques et évolutions ou complications possibles

L'alcoolisme : définitions, caractéristiques cliniques et évolutions ou complications possibles

Deux définitions, l’une extensive et l’autre plus restrictive, sont couramment données de ce phénomène pathologique complexe :
  • Ensemble des accidents morbides induits par l’abus aigu et chronique de boissons alcoolisées.
  • Perte de la liberté de s’abstenir de l’alcool. 

Dans le 1er cas, l’alcoolisme recouvre toutes les manifestations psychopathologiques consécutives non seulement à l’abus intermittent, unique ou répété, sans « dépendance » vis-à-vis de l’alcool, mais aussi toutes les conséquences de l’« alcoolisme », véritable toxicomanie à l’alcool, que signent une accoutumance et le besoin incoercible de boire. Dans le second cas, c’est à cette notion de toxicomanie avec syndrome de dépendance à l’alcool qu’il est fait référence.

La tendance actuelle est de distinguer entre un alcoolisme primaire dans lequel la prise de boissons alcoolisées apparaît comme un phénomène premier, et un alcoolisme secondaire où la conduite alcoolique fait suite à une maladie neuropsychiatrique ou somatique. L'alcoolisme primaire est avant tout le fait de l’entraînement : tradition de consommation sociale, habituation insensible, longtemps peu conscientes. L’alcoolisme secondaire émaille essentiellement le cours des troubles dépressifs, anxieux et de personnalité. Il correspond souvent à ses débuts, à la découverte des vertus anxiolytiques et stimulantes de l’alcool.

L’épidémiologie de l'alcoolisme reste incertaine du fait des variations de définition du problème. En 1988, on a dénombré en France jusqu’à 2,5 millions de malades alcooliques, dont un tiers de femmes, et 3 millions de consommateurs excessifs à risque d’alcoolisme, soit au total 5,5 millions de personnes ayant un problème avec l’alcool, ce qui représente 10 % de la population. On recense environ 50 000 décès annuels en rapport avec l’alcoolisme, ce qui représente la troisième cause de mortalité en France.

Les modes de consommation traditionnels ont évolué durant ces trois dernières décennies.

L’alcoolisme féminin a progressé. L’alcoolisation des jeunes a pris des caractères nouveaux (consommation d’alcools forts, abus intermittents avec notamment la recherche de l’ivresse du samedi soir, mélanges avec d’autres substances psychoactives : drogues, tranquillisants, etc.).

Parmi les manifestations cliniques de l’alcoolisme, on différencie l’intoxication aiguë ou abus d’alcool et l’intoxication chronique. L’abus aigu d’alcool entraîne l’ivresse alcoolique simple, qui connaît trois phases successives : excitation physique avec bien être euphorique et désinhibition sociale – c’est l’effet recherché par le buveur volontiers anxieux, tendu incertain ou déprimé, puis ébriété avec incoordination psychomotrice, ralentissement mental et obnubilation, enfin paralysie ou asthénie, avec endormissement pouvant aller jusqu’au coma éthylique. L’ivresse se manifeste pour des alcoolémies (ou taux sanguin d’alcool) très variables d’un sujet à l’autre. Elle peut être favorisée par une pathologie associée, par la prise simultanée de substances potentialisant l’effet de l’alcool (drogues, anxiolytiques, barbituriques, etc.).

Les ivresses dites « pathologiques » sont les ivresses excitomotrices (fureur alcoolique) avec désinhibition agressive, les ivresses délirantes (délires de grandeur, de jalousie de persécution etc.), les ivresses thymiques, réalisant de véritable de véritables états dépressifs ou maniaques, les ivresses hallucinatoires, et les ivresses convulsives, compliquées de crises d’épilepsie (alcoolépilepsie).

À côté des ivresses et de leurs conséquences personnelles et médico-légales, l’abus aigu d’alcool peut se compliquer de troubles métaboliques variés au premier rang desquels se trouve l’hypoglycémie.

Les complications neuropsychiatriques de l’alcoolisme chronique avec dépendance alcoolique et consommation quotidienne régulières sont généralement précédées par l’installation d’un syndrome d’ « imprégnation alcoolique » chronique, qui associe des manifestations intellectuelles et caractérielles (lenteur, baisse de la concentration, troubles de la mémoire, fatigabilité, irritabilité, anxiété, intolérance aux conflits, régression psychique égocentrique, dépressivité, jalousie pathologique, affabulations, négation de l’intoxication), des signes somatiques (visage bouffi, enluminé, varicosités des pommettes, sueurs excessives, haleine caractéristique, tremblement d’attitude, crampes musculaires, ainsi que tous les stigmates de complications hépatiques, neurologiques, dermatologiques ou vasculaires éventuelles), et des signes biologiques (augmentations du volume des globules rouges et, plus inconstante, de la gamma-glutamyl-transférase hépatique, ainsi que les autres témoins biologiques des complications somatiques si elles existent). Hormis les signes biologiques qui sont précoces, ce syndrome d’imprégnation chronique demande plusieurs années avant d’être manifeste, d’où l’importance de son dépistage médical à un stade précoce, qui peut laisser espérer sa réversibilité. En revanche sa découverte tardive est de mauvais pronostic, les modifications psychiques induites par la prise prolongée étant bien souvent partiellement irréversibles.

Les complications neuropsychiatriques de l’alcoolisme chronique représentent une part très élevée de la morbidité psychiatrique générale :
  • Le syndrome de sevrage et ses complications : déclenché par un « manque » d’alcool (baisse ou interruption de l’intoxication). Les manifestations initiales apparaissent en quelques heures – tremblement incontrôlable de la langue et des extrémités, sueurs profuses, insomnie, irritabilité croissante, difficultés de concentration, obsession de l’alcool. En l’absence de reprise de l’intoxication ou de traitement, ce « syndrome de manque » évolue vers un tableau de confusion mentale délirante : le DELIRIUM TREMENS ALCOOLIQUE (voir ce terme). Une autre complication du sevrage est l’hallucinose du buveur – état hallucinatoire auditif et visuel, généralement de courte durée -, qui débouche parfois sur un délire chronique.
  • Les encéphalopathies alcooliques sont consécutives à la toxicité cérébrale de l’alcool et aux carences nutritionnelles accompagnant sa consommation prolongée. Elles comprennent des atrophies cérébrales et/ou cérébelleuses (états d’affaiblissement affectif et intellectuel, troubles irréversibles de la coordination motrice, etc.), le SYNDROME DE KORSAKOFF (voir ce terme), la maladie de MARCHIAFAVA-BINAMI (voir ce terme), l’encéphalopathie pseudopellagreuse, la myélinolyse centrale du pont, l’encéphalopathie hépatique compliquant une cirrhose alcoolique.
  • Les psychoses chroniques alcooliques constituent des complications de l’intoxication alcoolique massive prolongée : délires de jalousies, délires hallucinatoires persécutifs faisant généralement suite à un délirium tremens ou une hallucinose. 

Les modalités du traitement de l’alcoolisme dépendent de la gravité de ses possibles complications, du degré de dépendance à l’alcool, de la motivation thérapeutique, de la place qu’occupe l’alcool dans la vie psychique et sociale du sujet. Il présuppose une évaluation précise du retentissement somato-psychique de l’intoxication, de ses conséquences socio-familiales et professionnelles, de l’enchaînement des causes médicales et biographiques ayant conduit à sa perduration. Il n’existe pas de déterminisme univoque de l’alcoolisme : chaque cas constitue le terme d’une conjonction dynamique de facteurs prédisposants de déclenchants qu’il appartient au clinicien de jauger et de restituer, autant que lui permet l’analyse psychopathologique rétrospective du déroulement de l’intoxication. De nombreux travaux ont été récemment réalisés pour essayer de déterminer l’existence, ou non de prédispositions biochimiques ou héréditaires rendant le sujet plus vulnérable à l’alcool. Mais il ne s’agit jusqu’à présent que d’hypothèses de travail sans conséquence sur le plan thérapeutique. Cependant en France, premier pays producteur de vin dans le monde, les facteurs socioculturels et les enjeux économiques tiennent une place importante dans l’étiologie de l’alcoolisme. Ainsi, malgré les efforts de nombreuses autorités médicales, la loi de 1988 interdisant la publicité en faveur de l’alcool n’est toujours que partiellement appliquée, bien qu’elle ait été votée par le Parlement.

L’objectif thérapeutique à atteindre est l’abstinence complète. Une fois le principe d’une expérience d’arrêt de l’alcool acquis, un sevrage peut être programmé, en ambulatoire ou en milieu hospitalier, selon la gravité du cas, les complications associées, et le soutien effectif et social dont dispose le sujet.

Le sevrage thérapeutique fait généralement appel à la substitution temporaire de tranquillisants à l’alcool, associé à une réhydratation abondante et à une vitaminothérapie. Il est relayé par un soutien psychothérapique et médical prolongé qui nécessite régularité, disponibilité et patience, tant sont fréquentes les rechutes qui ne doivent cependant pas entamer la confiance thérapeutique. L’aide apportée par les associations d’anciens buveurs comme les AA (Alcooliques Anonymes) s’avère parfois très utiles.
Nous écrire
Les champs indiqués par un astérisque (*) sont obligatoires