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Quelques repères sur l'anorexie mentale

L’anorexie mentale est un syndrome classiquement décrit comme associant les trois symptômes suivants : l’anorexie proprement dite, ou la restriction de l’alimentation, l’amaigrissement qui en est une conséquence, et l’aménorrhée, c’est-à-dire l’absence des règles pendant au moins trois mois.

La stéréotypie clinique de ce tableau, la prévalence du sexe féminin et l’âge de début assez caractéristique (95 % des cas concernent des jeunes filles entre 12 et 18 ans) tranchent avec le polymorphisme des troubles psychopathologiques à l’adolescence.
Ces caractères témoignent également de l’ancienneté de la description et de la constante recherche d’une étiologie organique malgré des hypothèses psychogénétiques déjà soulevées à la fin du XIXe siècle par Lasègue et Gull ayant respectivement individualisé, le premier l’anorexie hystérique, le second l’apepsie hystérique. Simmond, en 1914, délaisse le champ de l’hystérie pour faire de l’anorexie mentale un syndrome nouveau opérant cette fois-ci dans le domaine endocrinologique. Il faudra donc attendre les années 1940 pour que soient reprécisées les considérations psychogénétiques (H. Brush aux USA, M. Selvini en Italie, E. Kestemberg et S. Decobert en France). Actuellement le déterminisme psychologique de cette affection est accepté par le plus grand nombre de chercheurs.

La prévalence psychique de ce syndrome est diversement appréciée selon les études. Divers travaux épidémiologiques suggèrent une augmentation de son incidence dans les sociétés de type occidental, l’anorexie mentale se rencontrant avec davantage de fréquence dans les classes socioprofessionnelles moyennes et aisées. Le syndrome est pratiquement inconnu dans les populations d’Afrique noire (fait qui ne peut uniquement s’expliquer par les différences de niveau socio-économique). Enfin, l’anorexie mentale est plus fréquente chez les sœurs et mères d’anorexiques que dans la population générale. Dans une perspective génétique, des études portant sur des jumeaux ont pu montrer qu’un jumeau d’anorexique a un risque de +7 % de développer lui-même une anorexie s’il s’agit d’un jumeau hétérozygote et que ce risque s’élève à 55 % en cas de monozygotisme.

Le tableau clinique se constitue classiquement en trois à six mois chez une jeune adolescente dépendante de son milieu familial. Après une période marquée par un désir de suivre un régime pour perdre quelques kilos ou à la suite d’un événement vécu comme traumatique (rupture affective, déménagement…) s’installe la période d’état associant les trois signes caractéristiques :

L’anorexie ou conduite anorectique. - Plus que d’une anorexie, il s’agit d’une restriction alimentaire. Le terme de « conduite anorectique » rend compte de l’activité déployée afin de maigrir : dissimulation de nourriture, vomissements provoqués après un repas normal, prises répétées de laxatifs et diurétiques, hyperactivité physique (station debout prolongée, marches forcées, bains froids…). L’hyperactivité est avant tout l’occasion d’une tentative de maîtrise supplémentaire sur le corps et sur l’esprit ; la performance intellectuelle est recherchée pour elle-même, sans souplesse ni créativité, et on assiste souvent à une baisse de rendement scolaire malgré un très bon niveau au départ et à un hyperinvestissement dans des activités sociales (politiques, confessionnelles…) teintées de conformisme. La survenue d’épisodes boulimiques peut émailler le cours d’une anorexie, témoignant d’un échec relatif dans la tentative de maîtrise de la sensation de faim.

L’amaigrissement. – Conséquence de la restriction alimentaire, l’amaigrissement est au départ souvent camouflé (tenues vestimentaires amples, falsification des pesées) pour être plus tardivement largement exhibé. A un stade avancé l’amaigrissement peut être massif (supérieur à 50 % du poids initial) s’accompagnant alors de répercussions somatiques graves (déshydratation, hypothermie, troubles cardiaques). La patiente méconnaît la sévérité de l’atteinte de son état général et le trouble de la perception de l’image du corps constitue un signe clinique caractéristique dans l’anorexie mentale ; non seulement l’amaigrissement est nié mais la jeune adolescente a une peur permanente de grossir, se trouvant déjà trop grosse voire difforme. Les préoccupations peuvent prendre un caractère dysmorphophobique. Devant l’intensité du trouble inaccessible à une argumentation logique, certains auteurs dont M. Selvini parlent de « délire localisé ».

L’aménorrhée. - Son rapport avec l’amaigrissement est difficile à établir puisqu’elle peut précéder celui-ci et persister longtemps après la reprise de poids. L’hypothèse d’une origine neuroendocrinienne de l’anorexie mentale s’est longtemps appuyée sur ce symptôme ; cependant les anomalies mises en évidence par les explorations biologiques et observées au niveau de l’axe hypothalamo-hypo-physaire sont tardives et secondaires à l’amaigrissement. La non-apparition ou l’interruption des règles ne semble pas constituer une gêne psychologique pour ces adolescentes qui regrettent les transformations pubertaires. Dans ce contexte les activités sexuelles sont souvent ignorées et si elles existent c’est toujours sur un mode conformiste sans implication affectives réelle. Les perturbations de l’image de soi et la peur de prendre du poids sont deux éléments qui associés à la triade symptomatique permettent de distinguer l’anorexie mentale de nombreux syndromes anorexiques secondaires à une affection organique (tumeurs cérébrales profondes…) ou à une autre pathologie psychiatrique (restriction alimentaire liée à un investissement délirant de la nourriture dans certaines psychoses).

Deux grandes positions théoriques séparent l’ensemble des travaux sur le diagnostic d’anorexie mentale : la première fait de l’anorexie mentale une maladie autonome, la seconde considère l’anorexie mentale comme un symptôme à inscrire dans une catégorie nosographique connue. En réalité les auteurs considèrent l’anorexie mentale, non pas en termes de diagnostic psychiatrique traditionnel, mais selon une constellation de symptômes ou de traits psychopathologiques qui – en fonction de regroupements prévalents – rangent ces patients dans une catégorie diagnostique fréquemment apparentée au groupe des états limites.

L’anorexie mentale du garçon (5 à 6 % des cas d’anorexie mentale chez l’ensemble des adolescents) est rarement typique ; si le tableau clinique est comparable à celui de la fille – les troubles de l’érection et de la libido prenant la place de l’aménorrhée – il est marqué par une plus grande fréquence des traits obsessionnels et par un isolement social prononcé. On retrouve par ailleurs des antécédents d’obésité dans un tiers des cas. Chez les garçons, les conduites anorexiques seraient le plus souvent annonciatrices d’une évolution schizophrénique. Chez les filles, le pronostic de la forme classique est très variable : il existe environ 30 à 40 % d’évolution très favorable, 30 % de guérison incomplète (réapparition ou accentuation périodique des troubles alimentaires souvent associés à des symptômes névrotiques divers) et 30 % d’évolutions gravissimes parmi lesquelles existe un taux de mortalité non négligeable (il est de l’ordre de 5 %, la mort étant une conséquence directe de la dénutrition, ou plus rarement liée à un suicide).

L’approche psychopathologique de l’anorexie mentale a donné lieu à un nombre important de travaux parmi lesquels se distinguent l’étude de la famille de l’anorexique et une analyse de la structure de la personnalité même du patient. Aucune hypothèse psychopathologique ne prétendant donner l’explication précise de l’ensemble des phénomènes psychiques en cause dans l’anorexie mentale.

Le traitement symptomatique et le traitement des troubles de la personnalité représentent les deux pôles du projet thérapeutique. L’isolement avec réalimentation en milieu hospitalier reste – en cas d’amaigrissement sévère ou de syndrome boulimique associé – la méthode la plus classique et surtout la plus efficace. L’hospitalisation est le plus souvent conçu en terme de contrat avec des seuils pondéraux fixés et acceptés à l’avance. Un programme thérapeutique d’inspiration comportementale avec renforcement positifs peut être associé. Le risque est cependant de centrer cette hospitalisation sur la prise de poids et d’oublier la nécessité concomitante d’établir une relation thérapeutique. Les modalités d’une chimiothérapie anxiolytique et/ou antidépressive éventuellement associée ne peuvent faire l’objet d’une systématisation rigoureuse. La prise en charge thérapeutique s’adresse tant au malade qu’aux parents (groupe de parents d’anorectiques, psychothérapie familiale). La psychanalyse est rarement indiquée sous la forme d’une cure type. Plus souvent une psychothérapie d’inspiration psychanalytique ou une technique de groupe (psychodrame, technique d’expression corporelle, relaxation) sont conseillées.
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