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À propos de l'examen du niveau mental global d'un enfant

Nous sommes de ceux qui persistent à trouver de l’intérêt à cette mesure, mais seulement s'il est associé à une approche clinique et à une prise en compte de la santé puis de la personnalité de l'enfant tout en le considérant dans sa famille, dans telle classe/école.

Binet a fait preuve d’un remarquable sens clinique dans l’ajustement progressif de son instrument examinant le niveau cognitif des enfants, dans le choix d’épreuves variées, courtes, intéressant l’enfant sans le fatiguer. Quand d’aucuns parlent du « traumatisme » que constitue l’examen psychologique, c’est qu’ils n’en ont aucune expérience ou … qu’ils sont vraiment très méchants avec les enfants ! Hormis quelques cas tout à fait exceptionnels, la passation d’une échelle de niveau est une partie de plaisir réciproque : l’enfant s’amuse, et l’examinateur est stimulé par les caractéristiques propres de chaque enfant au travail. Si traumatisme il y a, il provient surtout de l’attitude des parents à l’égard de l’enfant, de leur agressivité ou de leur malaise et de leur culpabilité à conduire l’enfant en consultation.

Les échelles les plus couramment utilisées en France ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients. Le Binet-Simon (réétalonnage de 1949) n’est pas applicable au-delà de 10 ans d’âge mental ; il a été remplacé par la Nouvelle échelle métrique de l’intelligence (NEMI). L’un et l’autre ont été étalonnés sur des écoliers français. Le Terman (1919) a comme eux de grandes qualités cliniques : on voit vraiment fonctionner l’esprit de l’enfant, le Terman-Merrill (1937 et 1962) est volontiers utilisé avec des enfants jeunes ; l’un et l’autre ont été adaptés en France, sans y avoir été réétalonnés ; le premier est sévère, le second indulgent pour l’enfant français.

Le WISC (Wechsler Intelligence Scale for Children) a été étalonné en France, sans que l’étalonnage français ait pu atteindre l’ampleur de l’étalonnage américain. Il a été révisé (WISC-R). Il comporte deux échelles, l’une verbale, l’autre de performance. Les résultats en sont élaborés suivant des principes psychométriques différents, si bien que sous la même désignation de QI (quotient intellectuel), ce n’est pas au même type de mesure et de comparaison que l’on a affaire. Dans une échelle d’âges classique, on situe l’enfant examiné par rapport à des enfants d’âges chronologiques différents, et on lui attribue l’âge mental qui correspond à la moyenne des réussites d’un âge chronologique. Le QI est dans ce cas un quotient d’âges (âge mental divisé par âge réel, multiplié par 100 pour la commodité) et, comme l’a montré Zazzo, exprime un rythme de croissance. Dans le WISC on classe l’enfant examiné par rapport à des enfants de même âge que lui et on lui attribue un QI qui n’est qu’un indice de dispersion (moyenne 100, écart-type 15 choisis pour conserver aux QI standards une valeur numérique analogue à celle des QI d’âges). La dispersion est ainsi la même à tous âges, ce qui n’est pas le cas pour les échelles d’âges, sans qu’on puisse trancher de ce qui tient à la variation du rythme de croissance ou aux aléas de l’instrument.

Deux types de critiques sont adressées à ses épreuves.

Les unes visent la nature des épreuves qui font appel à des activités diverses (mémoire des chiffres, vocabulaire, raisonnement, dessin de figures géométriques, etc.) et qui, bien qu’il ne s’agisse pas d’épreuves directement scolaires, font intervenir certaines acquisitions scolaires (compter, connaître les mois de l’année, la hauteur du mont Blanc, etc.) ; on a donc proposé d’autres épreuves semblant atteindre plus directement le raisonnement, épreuves sur lesquelles nous reviendrons plus loin, mais qui n’ont pas la même corrélation avec la réussite scolaire. Les autres voient dans cette corrélation avec la réussite scolaire le signe que les échelles de développement et les QI qui expriment les résultats obtenus sont au service de l’école en son état actuel et d’une certaine politique. Échelles et QI sont donc condamnés comme appartenant à une idéologie de classe, au nom d’une perspective jugée plus juste théoriquement et plus équitable socialement. On a vite fait d’utiliser le terme d’idéologie, qui toujours désigne le système théorique de l’autre.

C’est dernières critiques, malgré leur excès, ont le mérite d’attirer l’attention sur le mauvais usage qu’on fait du QI. On s’empare du QI parce qu’un chiffre est commode à utiliser, qu’il a une apparence plus scientifique, que les administrations qui créent des classes spéciales ou des établissements spécialisés cherchent des étiquettes pour mettre sur leurs cases. On en arrive à définir l’entrée en classe de perfectionnement par un QI compris ente 50 et 70 ou 80, l’entrée dans tel établissement par telles bornes, sans préciser la compétence de l’examinateur, ni l’instrument utilisé, ce qui introduit d’étranges variations d’un examen à l’autre. Voilà la conséquence d’une conception de l’examen psychologique le réduisant à la passation d’un test par n’importe qui. L’autre écueil est de considérer qu’un QI, même en le supposant obtenu avec un bon instrument et un examinateur entraîné, suffit à lui seul et une fois pour toutes à caractériser un enfant. Bien que, statistiquement, c’est-à-dire sur de grands nombres et non pas inéluctablement pour un individu donné, le QI, est une forte corrélation avec la réussite scolaire, il serait déplorable de fixer, dès un âge précoce, le destin scolaire de tout écolier d’après son QI et de limiter à cela « l’orientation scolaire ». Si l’utilisation, maintenant fort ancienne aux États-Unis, du QI à ses avantages, notamment pour la recherche scientifique, l’inconvénient d’épingler un QI sur la blouse de l’écolier, de distribuer les enfants en classes fortes et en classes faibles où, sous prétexte d’être rattrapés, ils deviennent de plus en plus faibles, a été vigoureusement dénoncé.

Il va de soi qu’on propose un autre usage de l’examen psychologique, dont l’échelle de niveau n’est qu’une partie, le QI lui-même n’étant qu’une des données fournies par la passation de l’échelle de niveau. Devant un enfant qui consulte pour échec scolaire, ce que nous envisagerons pour l’enfant et l’action auprès de la famille varieront selon que l’enfant se révèle bien doué ou médiocrement doué. Et ses « dons intellectuels » n’auront pas été appréciés par le seul résultat chiffré, mais par tout ce que nous aura appris cette séance ou ses séances de travail avec l’enfant que constitue l’examen psychologique. Si cette évidence de bon sens est récusée, c’est en fait qu’on répugne à admettre l’inégalité des dons. Ces compétences intellectuels constatés à l’instant de l’examen sont le produit d’une histoire, où à partir de virtualités psychologiques, le développement psychologique s’est effectué différemment selon les facteurs mésologiques. Admettre qu’il existe une hérédité polygénique qui joue un rôle dans l’inégalité du développement de l’intelligence n’est pas renoncer à l’amélioration du milieu et de l’éducation, à moins de tout réduire à l’hérédité. L’amélioration des conditions de vie des travailleurs les plus défavorisés, l’amélioration pédagogique de l’école contribueront à améliorer dans une certaine marge les virtualités intellectuelles des enfants. Elles éviteront qu’on aggrave l’inégalité biologique par l’injustice sociale. Croire qu’elles supprimeront toute inégalité biologique relève de l’utopie égalitariste. L’intégralité biologique est pensée en termes d’infériorité ou de supériorité si l’on se réfère à une caractéristique qu’on voudrait posséder, qu’on valorise. Elle est à penser en termes de diversité, de différences dont l’utilisation peut être féconde.

Les sociétés industrielles, quel que soit leur régime politique, ont abouti à la généralisation de l’école et valorisent un type d’intelligence nécessaire à l’acquisition du savoir technique. Ce qu’on peut reprocher à l’école, ce n’est pas d’avoir besoin de ce type d’intelligence pour faire accéder à un certain niveau de maîtrise du langage, de connaissances mathématiques, etc., c’est de gaspiller certaines possibilités d’apprendre, c’est d’enfoncer dans leur échec et de rendre malheureux ceux qui ne les ont pas, alors qu’ils ont dans nombre de cas des qualités autres à valoriser et développer. En d’autres termes, dire que tout enfants a le droit qu’on s’efforce de le rende heureux à l’école et que tout travailleur a le droit, même sans diplômes, qu’on lui procure une vie décente, c’est autre chose que de prétendre que tout écolier doit arriver à telles acquisitions, qu’on les définisse par le Certificat d’études primaires, le Brevet, le Baccalauréat ou l’entrée à Polytechnique. Plus on remonte la barre, plus on accroît le nombre des « débiles », car le critère de la débilité est d’origine sociale, et plus précisément scolaire.

Tenir compte des possibilités intellectuelles d’un enfant revient à ne pas lui demander de sauter une barre trop haut fixée pour lui. Les définir par le seul QI est effectivement insuffisant : tous les enfants n’utilisent pas de la même manière leurs possibilités intellectuelles telles que le QI les atteste ; le QI n’est pas une caractéristique constante et des variations qui se font progressivement dans le même sens sont significatives.

Il est un domaine, celui des handicaps sensoriels et moteurs, où l‘on voit que l’examen du niveau intellectuel joue pour l’enfant et non contre lui. Sans de patientes investigations avec des échelles d’épreuves modifiées et appropriées, à s’en tenir à l’impression globale que fait un enfant qui ne parle pas par handicap moteur ou auditif, ou qui ne voit pas, on conclurait, comme on l’a longtemps fait, à l’inintelligence. Dans ce domaine, les textes officiels ont eu la sagesse de spécifier qu’on ne doit pas s’en tenir à un examen psychologique ponctuel, mais qu’il ne faut conclure qu’après une période d’observation continue d’une année scolaire.
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