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L'intergénérationnel et le transgénérationnel

L’hypothèse d’un phénomène de transmission entre les générations trouve son origine dans la systémie familiale (Boszormeny-Nagy, 1973) et occupe une place en psychanalyse française à partir de 1985. L’être humain naît dans une famille qui lui transmet un héritage conscient et inconscient comprenant des missions, des loyautés familiales visibles ou invisibles, des habitus, des traumatismes, des deuils non faits.

1) Une histoire de transmission

A) Définitions

En fonction des approches, les définitions utiles diffèrent. Par exemple, en systémie, on suppose que la transmission intergénérationnelle concerne les faits perçus ou connus (avoir la main verte de mère en fille, être boulanger de père en fils) quand la notion de transmission transgénérationnelle désigne l’héritage invisible (comme les traumatismes ou les tabous).

En psychanalyse, supposant que dans toute transmission il y a une part inconsciente (fantasmatique, perdue, modifiée), la distinction se fait entre les transmissions qui concernent les générations en contact (intergénérationnelles) et celles qui concernent les générations à distance (transgénérationnelles).

Dans cette perspective, Serge Tisseron (2007) a précisé que l’intergénérationnel faisait intervenir le langage direct et indirect, verbal et non verbal, mais aussi les affects et les représentations qui constituent la culture vécue d’une famille dans une dynamique qui se réalise dans la quotidienneté de la vie psychique, de l’enfance à l’âge adulte. Observable, elle comporte des aspects conscients (les transmissions volontaires et perçues) et inconscients (ce que l’on transmet malgré soi).

Le transgénérationnel, quant à lui, suppose alors que des évènements vécus par des générations antérieures et disparues pourraient impacter la descendance. Il est un processus de reconnaissance des modalités conflictuelles qui fondent une relation spécifique entre un sujet et les générations précédentes. Cette relation intergénérationnelle fait exister après coup l’originaire (Faimberg, 1998), un originaire toujours fragmentaire, plus ou moins hypothétique, plus ou moins imaginaire, mais qui est fondamental dans la possibilité d’historicisation du sujet.

B) Principes et hypothèses cliniques

Pour Serge Tisseron (2007), le vécu d’une génération est transmis par la même génération via les symbolisations. Lorsqu’elles sont réussies, cela passe par le langage (des récits historicisés) et par des évènements symboliques participant de leur inscription dans le temps (comme des fêtes). Lorsqu’elles sont imparfaites, la symbolisation emprunte des canaux précaires ou insuffisants (seulement de l’affect par exemple) et le vécu devient alors énigmatique et potentiellement pathogène. Il arrive qu’une génération porte – inconsciemment – la mission implicite de symboliser ce qui n’a pas été à partir des « miettes de symbolisation » perçues.

Les secrets en général et les secrets de famille, par exemple, sont liés à des problèmes de transmission et/ou à des secrets sur la transmission dans les liens familiaux. Ils sont variés dans leurs objets et sont de diverses formes : secrets normaux, secrets nocifs, secrets constructifs, secrets protecteurs (voire surprotecteurs) ou encore les secrets perdus quand la vérité se perd pour toujours dans la mort des détenteurs du savoir (Schützenberger, 2004).

Les secrets de famille créent chez ceux qui les gardent un clivage, entre une partie de la vie psychique qui sait et celle qui ne doit pas savoir et qui s’attache à faire comme si elle ne savait pas (et qui souffre et/ou s’abîme pour cela). Chez leurs descendants, cela engendre comme une crypte, un fantôme, un non-dit, un impensé généalogique et divers traumatismes liés à une loyauté familiale invisible. Dans tous les cas, ils participent à la fondation d’une insécurité de base. À ce niveau, les recherches de Nicolas Abraham et Maria Törok (1978) sur les secrets de famille sont centraux.

2) Principales théorisations

A) Issues de la systémie familiale

Pour les systémiciens, l’humain est surtout un être d’interaction, toujours en rôle et en interactivité avec l’autre (Mead, 1934 ; Moreno, 1934 et 1954). Moreno (1965) supposait que l’individu baigne dans un co-inconscient (un co-inconscient groupal familial puis plus largement social) dans lequel il est possible de relever des transmissions qui se manifestent dans les symptômes et les souffrances comme dans les manifestations inconscientes classiques (rêves, actes manqués, angoisses).

L’humain est alors déterminé par ce qu’il est dans le regard de l’autre, il est tel qu’il est reconnu (ou non). La nature et la qualité de cette reconnaissance posent un ancrage qui fonctionne comme une empreinte (Cyrulnik, 1989 ; Lebovici, 1998 ; Schützenberger, 1993) déterminante. Les génosociogrammes permettent une mise en évidence de cet ancrage qui précède l’existence.

B) Issues de la psychanalyse française

Les psychanalystes ont très tôt relevé la présence de représentations issues de l’autre, un autre qui participe avec sa vie psychique, du développement et de la constitution de la vie psychique de l’être. Cela était déjà sous-jacent dans les développements freudiens (à propos de la fondation du Surmoi par exemple) et des mouvements d’identification à la source des différentes instances psychiques.

Le début des travaux psychanalytiques sur l’héritage psychique et la transmission ont donné une impulsion décisive (Guyotat et Fédida, 1986 ; Eiguer, 1987) à l’origine d’une lignée spécifique de travaux :
  • André Green et le concept de la mère morte (1983) ;
  • Piera Aulagnier (1964, 1975 et surtout dès 1984) sur l’interdiction implicite de penser que peut porter la fonction parentale, théorisation reprise par Micheline Enriquez (1984, 1986, 1987) à propos des délires en héritage comme conséquence de cette interdiction de penser ;
  • Jean Laplanche et les signifiants énigmatiques dans le langage de l’adulte vers l’enfant (1984) ;
  • Jean Guillaumin (1984, 1988) sur les pertes possibles dans la transmission ;
  • René Kaës (1993) sur l’héritage via le groupe qui a une fonction de médiateur.

La pensée d’autres figures a été déterminante, comme le travail de Guy Rosolato (1967) sur les transmissions des mythes et des croyances (surtout religieuses) ou encore l’ensemble des travaux sur la filiation narcissique aliénante dans le cadre de la confusion mort-naissance (Guyotat, 1980, 1991, 1995) et du télescopage des générations (Faimberg, 1981, 1985, 1988).

L’apport de la psychanalyse dans ces questionnements a été de lutter contre une conséquence possible de ces conceptualisations pouvant conduire à gommer l’extrême complexité de ces phénomènes : penser que les transmissions sont toujours de l’ordre de l’identique (alors qu’il y a nécessairement des pertes, des mutations, des ajouts) et qu’elles sont uniquement descendantes (alors qu’il y en a aussi des ascendantes).

Des auteurs ont étudié les phénomènes de transmission des traumatismes liés à l’histoire, après la Shoah (Bergman et Jucovy, 1982) et le génocide arménien par exemple (Altounian, 1991).
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